"Soins aux noyés "au XVIIIème siècle
Le nombre des noyades était considérable jadis à Genève; peu nombreux étaient ceux qui savaient
nager et toute chute dans le lac, le Rhône ou les fosses des fortifications se terminait souvent de façon
fatale. Le Magistrat, soucieux de préserver la vie de ses administrés avait à diverses reprises promulgué
des ordonnances sur les soins à donner aux noyés, mais il se heurtait à des préjugés populaires. Pour
ranimer les noyés, les Genevois étaient persuadés que le moyen le plus efficace était de les pendre par les
pieds ou de les rouler dans un tonneau, procédés dont les résultats ne donnaient pas entière
satisfaction...
Il fallait donc instruire le peuple et le faire profiter des dernières conquêtes de la science médicale.
C'est ce que décida le Petit Conseil en 1763. Il nomma une commission composée des plus éminents
médecins et chirurgiens pour étudier les procédés de sauvetage en usage dans les pays étrangers et
rédiger une courte instruction destinée a être répandue dans la population.
Cette instruction fut promulguée le 15 janvier 1764.
La première chose à faire, y est-il dit, est de dépouiller le noyé de ses habits, de le bien essuyer et de
le mettre dans un lit chaud, à côté, si possible, d'une personne saine dont la chaleur naturelle entretiendra
la tiédeur des draps. Certes, on peut utiliser aussi le bain de cendres chaudes, le bain de fumier ou d'eau
chaude, mais le lit est préférable. À défaut de lit, il faut enfiler au noyé la chemise et les habits de
quelque assistant et l'exposer devant un grand feu. Puis, une personne robuste "appliquant exactement
sa bouche sur celle du noyé et lui serrant les narines d'une main lui soufflera fortement de l'air chaud
dans les poumons". Mais cela est encore insuffisant, il convient très particulièrement "de lui souffler de
l'air dans le fondement* au moyen d'une pipe ou d'un autre tuyau ou d'une gaine de couteau dont on aura
coupé la pointe ou d'un soufflet". L'effet sera meilleur encore si on remplace l'air par la fumée chaude
et irritante de tabac.
Les moyens pour ce faire sont simples:
"On introduit dans le fondement le tuyau d'une pipe allumée, on enveloppe le fourneau d'un papier percé de plusieurs trous, on le met dans la
bouche et on souffle de toutes ses forces; on peut aussi allumer deux pipes dont on abouche les
fourneaux; on met le tuyau de l'une dans le fondement et on souffle par celui de l'autre. Mais on a
maintenant une machine destinée à cet usage. Le Magnifique Conseil en a fait établir quelques unes qu'il
a fait placer en différents endroits à portée du lac, du Rhône et de l'Arve. Ces deux secours, souffler de
l'air chaud dans les poumons et de la fumée de tabac dans les intestins, sont de la dernière importance;
plus ils seront prompts et soutenus, plus ils seront efficaces."
Mais ces moyens, selon l'instruction, devront être accompagnés d'autres, notamment "de fortes
frictions depuis la nuque jusqu'au croupion", des chatouillements dans les narines avec les barbes d'une
plume; on provoquera aussi l'irritation de la plante des pieds "par toutes sortes de moyens".
Si la population veut bien suivre tous ces préceptes, la mortalité par noyade diminuera
considérablement car "des auteurs dignes de foi assurent qu'on a sauvé la vie à des hommes qui étaient
restés sous l'eau pendant plusieurs heures".
*fondement=anus
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