Couché à la proue du pneumatique, Wito reste immobile. Tout au plus une oreille
remue de temps à autre. Pour peu on prendrait
cette intense concentration pour une sieste.
Etendu à ses côtés, son maître, le
caporal Christophe Ehinger, lui non plus ne
bouge guère. Le temps de prononcer quelques paroles ou d'adresser de furtifs
gestes à l'attention du sergent-major Michel
Schüll, le timonier, et celui-ci se remet à observer le museau de Wito avec la
plus extrême attention.
Patiemment, il scrute
sa truffe, lorgnant parfois sur ses oreilles ou sur ses pattes. Vigilant, il
attend d'y déceler la moindre réaction. Des
perles de sécrétions nasales, des signes de nervosité, de petits jappements:
tout est à interpréter, comme quoi la cheminée
d'odeurs est dans la ligne de mire. «Lire son chien», oui.
Marche avant, marche
arrière, zigzag, gauche, droite, les lentes
manœuvres de l'esquif évoquent un ballet improbable, auquel, sans le savoir, les
canards sont conviés. Alors, doucement, le
bateau approche de la berge, le morceau de vêtement imprégné de l'odeur de
putréfaction immergé à quelques centimètres de là.
L'agitation de Wito trahit son impatience. Et quand soudain il se met à gratter
le plancher, place aux hommes-grenouilles.
En Suisse, la recherche de cadavres ou de sang en milieu aquatique par des
chiens existe depuis 2005 et aujourd'hui seuls
deux sont spécialisés dans cette discipline pour tout le territoire: Wito, le
berger allemand de Christophe Ehinger et Ilana
de Roland Wùtrich (de la Police cantonale zurichoise). Un effectif qui fait
quelque peu pâle figure et ce d'autant plus
lorsqu'on le compare à celui de l'Autriche, qui compte vingt-cinq chiens.
D'ailleurs, la présence de Kurt Dobetsberger de la
Police fédérale autrichienne à Noville est loin d'être fortuite. Premièrement,
parce que celui-ci fut par le passé le
formateur de Wito. Deuxièmement, parce que l'Autriche, à l'instar des pays
Scandinaves, fait office de pionnière dans ce
domaine depuis près d'une décennie. D'où la nécessité pour la Suisse de
collaborer et de bénéficier de l'expérience de son
voisin au travers de stages de perfectionnement, afin de combler progressivement
son retard.
Christophe Ehinger souhaite qu'à
terme la Suisse n'en soit plus dépendante et qu'elle puisse former de nouveaux
chiens sans son aide. Dans l'immédiat, la
question de la relève s'impose, puisque à neuf ans Wito devient âgé, même si le
maître nous murmure qu'un futur spécialiste
se profile déjà.
L'apprentissage de l'animal débute avec la formation de base commune à tous les
chiens policiers. Deux ans durant lesquels il
se familiarisera avec la recherche d'objets, de personnes (quêtes ou pistes) et
la défense.
Puis, les différents
embranchements interviennent: drogues, explosifs, accélérants en incendie ou
cadavres et sang humain. Cette dernière
discipline nous concerne et est celle qui dure le plus longtemps. Le chien doit
d'abord s'habituer à débusquer des corps
enterrés, pendus ou encore emmurés.
En parallèle, il apprend à détecter des
traces de sang dans tout type d'endroits liés aux
scènes de crime (milieu urbain, véhicules, bâtisses et vêtements). Ce n'est que
lorsque le chien a acquis suffisamment
d'assurance dans ces champs qu'il entame la dernière étape de sa formation, à
savoir la recherche de cadavres immergés.
Cette
ultime spécialisation dure une année. Toutefois, elle n'a pas uniquement trait
au flair ou à la concentration, car face à ce
nouvel environnement le travail de socialisation est également essentiel:
acclimatation aux milieux portuaires (navigateurs,
manœuvres des bateaux) dans le cas d'une recherche de personne disparue par
exemple, partage du plan d'eau avec les oiseaux,
etc.
Au total, un peu plus de quatre ans seront nécessaires jusqu'à ce que le
chien ne devienne pleinement opérationnel. Sans
compter les inlassables exercices qui s'ensuivront en terme de formation
continue. Des exercices qui prendront néanmoins
toujours pour le chien les contours du jeu, à l'image du mécanisme qui est
actionné au moment où il gratte la plate-forme
faisant sourdre de dessous le zodiac son jouet. Parce que préalablement associé
à une odeur, le chien est convaincu que ce
dernier se trouve enfoui sous l'eau, d'où le jaillissement de sa récompense,
comme si elle en sortait..
Le gendarme vaudois rappelle aussi combien il s'agit d'un métier difficile. Le
périmètre de recherche est souvent vaste et
aléatoire. On est loin du cas où le lieu est parfaitement précis, quadrillé ou
encore identifié grâce à des écoutes, comme
dans celui d'un chien qui rechercherait de la drogue dans un appartement par
exemple.
Le manque d'effectif les oblige
également à se rendre aux quatre coins du pays et pas toujours pour leur surface
de prédilection. Quand ce ne sont
pas les conditions météorologiques qui leur jouent des tours, un calme plat
étant tout autant trompeur et déroutant que les
tournoiements du vent.
Finalement, l'histoire du plongeur disparu en janvier
2003 dans le lac des Joncs, au-dessus des
Paccots, est encore dans toutes les mémoires. On se souvient qu'en août de la
même année, suite au surgissement d'un gant, la
police fribourgeoise avait eu recours aux services de Wito pour localiser le
corps. Après des heures de recherche, celui-ci
était parvenu à délimiter la zone. Malheureusement, la situation de la
dépouille, qui gisait dans un trou recouvert de vase
et d'un entrecroisement de troncs à une vingtaine de mètres de profondeur, avait
contraint les plongeurs à jeter l'éponge;
les risques d'effondrement ou d'emprisonnement étant trop importants. Patience,
minutie, abnégation apparaissent donc comme
les fondements de la réussite de chacune de ces entreprises.
Mais Christophe
Ehinger n'est pas peu fier d'annoncer que, de
toutes les disciplines, elle est peut-être celle qui requiert et où existe la
plus grande complicité entre le chien et son
maître. Sans doute, est-ce là la seule chose qui importe. Et l'étymologie du mot
«cabotage» n'est désormais plus un secret.
Voir également
un dossier sur le sujet paru en 2006
sur notre site SISL.
Source: Police cantonale vaudoise, magazine Pol cant Info no 72, décembre 2008